J’étais là, avec tant d’autres, devant ces deux gigantesques portes closes. Autant au début j’étais sûr qu'il n’y avait pas un bruit derrière, autant maintenant, avec tous les arrivants qui s’accumulent de partout, il n’y a plus moyen de savoir ce qui se passe de l’autre côté.
Je me suis résigné à ne plus taper sur cette porte, mais d’autres s’en chargent déjà.
Cela fait un sacré bout de temps que nous sommes là, à attendre. Je connais déjà toute la vie de mon voisin, du voisin de mon voisin et de celle de son voisin. Et j’ai moi-même maintes fois raconté la mienne, au point de ne plus y trouver de sens et d’intérêt. J'en suis à me satisfaire d'un résumé succinct que j’adresse par politesse aux nouveaux venus. Heureusement qu’il y en a encore ! Ils nous permettent d’avoir des nouvelles de la Terre et d’entendre de nouvelles histoires, en patientant calmement.
Étrangement nous n’avons ni faim, ni soif, ni froid, ni chaud non plus. Nous ne sommes pas même fatigués. Nous devenons insensibles au temps qui passe. Notre espace vital se réduit, mais de toute façon être debout ou assis nous importe peu. J’ai l’impression que nous nous faisons plus petits à mesure que d’autres arrivent.
Certains portent leurs enfants sur les épaules. Ils ont de la chance, ils conservent pour eux la naïveté des jours heureux et peuvent à l’infini se réjouir de ce qu'ils auraient pu apprendre et vivre tous ensemble.
En fait, depuis l’ère du Phénix, il n’est plus question de mourir. On peut certes, se retrouver ici, devant ces portes, mais il suffit de le vouloir pour retrouver aussitôt son corps. Les médecins l’ont très bien compris. Ils "s’évertuent" d'ailleurs à vous réparer, à vous rafistoler, à vous remembrer si nécessaire. Du moment que le corps peut être soigné, sa réanimation n’est plus un problème car le cœur repart toujours. Dès lors, les cancers sont arrachés et les tumeurs brulées... tout simplement. Les traitements pouvent être longs et douloureux, mais le cœur repart en même temps que la conscience revient. Bien entendu, le risque est de réintégrer un corps dont le cerveau n’a plus été irrigué pendant longtemps. Et pour éviter toute souffrance, et pour appaiser les proches, les corps sont presque toujours incinérés.
Pour ma part, j’ai eu un accident de la route. Mon corps était en charpie. Trop de fonctions vitales ont été détruites. Ce fut une souffrance indescriptible à chaque fois que je le réintégrais. Je faisais de l’acharnement à la résurrection. Le plus terrible était de ne plus pouvoir communiquer avec les miens. J’ai cessé de souhaiter retourner dans mon corps. Le peu d'organes qui pouvaient encore fonctionner ont été donnés.
Dès fois j’ai l’impression que mes poumons se gonflent en absorbant de grandes bouffées de fumées… Ils ont été greffés sur quelqu'un qui ne connaît pas sa chance d’être sur Terre.
Un jour, tôt ou très très très tard, vous arriverez ici, au « Petit Paradis ». C’est un endroit où l’on a le temps de ruminer sa vie ; de se réjouir d’avoir vécu ; de se remémorer des odeurs de cuisine, la caresse du vent, la chaleur du soleil, l’ignorance des autres...
Ici nous faisons le point sur nos vies et nous attendons nos amis, notre famille, les enfants de nos enfants. Nous attendons que ça ouvre…
Je suis sûr qu'ils ont fermé pour rénovation !
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