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* Je mets mon roman "Tratinium" en ligne sur amazon. Vous pouvez ajouter vos commentaires ici (et voir plus bas), j'y répondrais :)

mardi 9 avril 2013

Art en version courte


Art de Y.Reza

(Adaptation en pièce courte)
 



Les 3 personnages sont sur scène, figés. Chacun parle à tour de rôle quand la lumière les éclaire.

 

Marc, seul.

Mon amie Sarah a acheté un tableau. C’est une toile d’environ un mètre soixante sur un mètre vingt, peinte en blanc. Le fond est blanc et si on cligne les yeux, on peut apercevoir de fins liserés blancs transversaux.

Mon amie Sarah est une amie depuis longtemps. C’est une fille qui a réussi, elle est médecin dermatologue et elle aime l’art.

Lundi, je suis allé voir le tableau que Sarah avait acquis samedi mais qu’elle convoitait depuis plusieurs mois. Un tableau blanc, avec des liserés blancs.

 

Yvan, seul.

Je m’appelle Yvan. Je suis un peu tendu car après avoir passé ma vie dans le textile, je viens de trouver un emploi de représentant dans une papeterie en gros.

Je suis un garçon sympathique. Ma vie professionnelle a toujours été un échec et je vais me marier dans quinze jours avec une gentille fille brillante et de bonne famille.

 

Sarah, seule.

Mes amis Marc et Yvan sont des amis très chers, le temps me les a préservé. Les revoir est une joie sans cesse renouvelée. J’ai une surprise pour eux… une surprise stupéfiante.

 

NOIR. (Yvan sort.)

 

Chez Sarah.

Sarah regarde réjouit son tableau (un point « dans » le public). Marc regarde le tableau. Sarah regarde Marc qui regarde le tableau. Un long temps où tous les sentiments se traduisent sans mot.

 

MARC. - Cher ?

SARAH. - Deux cent mille.

MARC. - Deux cent mille ?...

SARAH. - Tu n’es pas bien là. Regarde-le d’ici. Tu aperçois les lignes ?

MARC. - Comment s’appelle le…

SARAH. - L’artiste ?

MARC. - C’est amusant que tu dises l’artiste.

SARAH. - Tu veux que je dise quoi ?

MARC. - Tu dis l’artiste, tu pourrais dire le peintre ou… comment il s’appelle…

SARAH. - ANTRIOS…

MARC. - Tu dis l’artiste comme une… comme une entité intouchable. L’artiste … Une sorte de divinité…

SARAH, rit. - Mais pour moi, c’est une divinité ! Tu ne crois pas que j’aurais claqué cette fortune pour un vulgaire mortel !...

 

Un temps…

 

MARC. - Sarah, tu n’as pas acheté ce tableau deux cent mille francs ?

SARAH. - Mais mon vieux, c’est le prix. C’est un ANTRIOS !

MARC. - Tu n’as pas acheté ce tableau deux cent mille francs !

SARAH. - J’étais sûr que tu passerais à côté.

MARC. - Tu as acheté cette merde deux cent mille francs ?!

 

Sarah, seule. Marc se fige.

Mon ami Marc, qui est un garçon intelligent, garçon que j’estime depuis longtemps, belle situation, ingénieur dans l’aéronautique, fait partie de ces intellectuels, nouveaux, qui, non contents d’être ennemis de la modernité en tirent une vanité incompréhensible. Il y a depuis peu chez lui une arrogance stupéfiante.

 

SARAH, après un temps. - Comment peux-tu dire « cette merde » ?

MARC. - Sarah, un peu d’humour ! Ris !… Ris, c’est prodigieux que tu aies acheté ce tableau !

 

Marc rit. Sarah reste de marbre.

 

SARAH. - Que tu trouves cet achat prodigieux tant mieux, que ça te fasse rire, bon, mais je voudrais savoir ce que tu entends par « cette merde ».

MARC. - Tu te fous de moi !

SARAH. - Pas du tout. « Cette merde » par rapport à quoi ? Tu ne t’intéresses pas à la peinture contemporaine, tu ne t’y es jamais intéressé. Tu n’as aucune connaissance dans ce domaine, donc comment peux-tu affirmer que tel objet, obéissant à des lois que tu ignores, est une merde ?

MARC. - Excuse-moi. C’est une merde.

 

Marc quitte la pièce en riant.

 

Sarah, seule.

Il n’aime pas le tableau. Aucun effort, aucune tendresse dans sa façon de condamner. Un rire prétentieux, perfide, un rire qui sait mieux que tout le monde. J’ai haï ce rire.

 

NOIR.   

 

Chez Marc.

Marc est assis sur le bord du canapé. Yvan est caché derrière le canapé, il cherche ses feutres parterre et dans le canapé.

 

MARC. - Tu as vu Sarah ces derniers jours ?

YVAN. - Pas vu. Et toi ?

MARC. -Vu hier.

YVAN. - En forme ?

MARC. - Très. Elle vient de s’acheter un tableau.

YVAN. - Ah bon ?

MARC. - Mmm.

YVAN. - Beau ?

MARC. - Blanc.

YVAN. - Blanc ?

MARC. - Blanc. Représente-toi une toile d’environ un mètre soixante sur un mètre vingt… fond blanc… entièrement blanc… en diagonale, de fines rayures transversales blanches… tu vois…

YVAN. - Je vois. (Yvan se relève avec le feutre.)

MARC. - Maintenant tu vas deviner combien Sarah l’a payé.

YVAN. - Qui est le peintre ?

MARC. - Antrios. Tu connais ?

YVAN. - Non. Il est coté ?

MARC. - J’étais sûr que tu poserais cette question !

YVAN. - Logique…

MARC. - Non, ce n’est pas logique…

YVAN. - C’est logique, tu me demandes de deviner le prix, tu sais bien que le prix est en fonction de la cote du peintre…

MARC. - Je ne te demande pas d’évaluer ce tableau en fonction de tel ou tel critère, je ne te demande pas une évaluation professionnelle. Je te demande… toi Yvan, que donnerais-tu pour un tableau blanc agrémenté de quelques rayures transversales blanc cassé ?

YVAN. - Zéro centime.

MARC. - Bien. Et Sarah ? Articule un chiffre au hasard.

YVAN. - Dix mille.

MARC. - Ah ! Ah !

YVAN. - Cinquante mille.

MARC. - Ah ! Ah !

YVAN. - Cent mille…

MARC. - Vas-y…

YVAN. - Quinze… Vingt ?!...

MARC. - Vingt. Vingt briques.

YVAN. - Non ?!

MARC. - Si.

YVAN. - Vingt briques ??!

MARC. - … Vingt briques.

YVAN. - … Elle est folle !...

MARC. - N’est-ce pas ?

 

Léger temps.

 

YVAN. - Remarque…

MARC. - … Remarque quoi ?

YVAN. - Si ça lui fait plaisir… Elle gagne bien sa vie…

MARC. - C’est comme ça que tu vois les choses, toi.

YVAN. - Pourquoi ? Tu les vois comment, toi ?

MARC. - Tu ne vois pas ce qui est grave là-dedans ? (Marc se lève.)

YVAN. - Heu… Non…

MARC. - Tu ne vois pas que subitement, de la façon la plus grotesque qui soit, Sarah se prend pour une « collectionneuse ».

YVAN. - Hun, Hun…

MARC. - Désormais, notre amie Sarah fait partie du Gotha des grands amateurs d’art.

YVAN. - Mais non !...

MARC. - Bien sûr que non. A ce prix là, on ne fait partie de rien, Yvan. Mais elle, le croit.

YVAN. - Ah oui… (Yvan s’assoit.)

MARC. - Ça ne te gêne pas ?

YVAN. - Non. Si ça lui fait plaisir.

MARC. - Qu’est-ce que ça veut dire, si ça lui fait plaisir ?! Qu’est-ce que c’est que cette philosophie du si ça lui fait plaisir ?!

YVAN. - Dès l’instant qu’il n’y a pas de préjudice pour autrui…

MARC. - Mais il y a un préjudice pour autrui ! Moi je suis perturbé mon vieux, je suis perturbé et je suis même blessé, si, si, de voir Sarah, que j’admire, se laisser plumer par snobisme et ne plus avoir un gramme de discernement. (Marc s’assoit à côté d’Yvan.) Car vois-tu, au fond, ce qui me blesse réellement, c’est qu’on ne peut plus rire avec elle.

YVAN. - Mais si !

MARC. - Non !

YVAN. - Tu as essayé ?

MARC. - Bien sûr. J’ai ri. De bon cœur. Que voulais-tu que je fasse ? Elle n’a pas desserré les dents. Vingt briques, c’est un peu cher pour rire, remarque.

YVAN. - Oui. (Ils rient tous les deux.) Avec moi, elle rira, tu verras.

 

NOIR. (Marc sort.)

 

 

Chez Sarah.

Sarah (assise) est avec Yvan. Yvan est debout, les mains appuyées sur le côté du canapé, cherchant le bon moment pour parler du tableau.

 

SARAH. - …Et avec les beaux-parents, bons rapports ?

YVAN. - Excellents. Ils se disent c’est un garçon qui a été d’emploi précaire en emploi précaire, maintenant il va tâtonner dans le vélin… Quoi de neuf ?...

SARAH. - Rien. Beaucoup de travail. Fatigué. Tu as vu Marc récemment ?

YVAN. - Non, pas récemment. Tu l’as vu toi ?

SARAH. - Il y a deux, trois jours.

YVAN. - Il va bien ?

SARAH. - Oui, sans plus.

YVAN. - Ah bon ?!

SARAH. - Non, mais il va bien.

YVAN. - Tu avais l’air de dire qu’il n’allait pas très bien.

SARAH. - Pas du tout, je t’ai dit qu’il allait bien.

YVAN. - Tu as dit sans plus

SARAH. - Oui, sans plus. Mais il va bien.

 

Un long temps.

 

YVAN. - Tu es sorti un peu ? Tu as vu des choses ?

SARAH. - Rien. Je n’ai plus les moyens de sortir.

YVAN. - Ah bon ?

SARAH, gaiement. - Je suis ruiné.

YVAN. - Ah bon ?

SARAH. - Tu veux voir quelque chose de rare ? Tu veux ?

YVAN. - Et comment ! Montre ! (Sarah se lève et montre le tableau)

SARAH. - Antrios (silence, Yvan s’approche). Antrios des années soixante-dix.

YVAN. - Oui, oui. Cher ?

SARAH. - Dans l’absolu, oui. En réalité, non. Il te plaît ?

YVAN. - Ah oui, oui, oui.

SARAH. - Evident.

YVAN. - Evident, oui… oui… Et en même temps…

SARAH. - Magnétique.

YVAN. - Mmm… Oui…

SARAH. - Et là, tu n’as pas la vibration.

YVAN. - … Un peu… Combien ?

SARAH. - Deux cent mille.

YVAN. - … Eh oui.

SARAH. - Eh oui.

 

Silence. Puis, subitement, Sarah éclate de rire, aussitôt suivie par Yvan. Tous les deux s’esclaffent de très bon cœur.

 

SARAH. - Dingue, non ?

YVAN. - Dingue !

SARAH. - Vingt briques !    

 

Ils rient de très bon cœur. S’arrêtent. Se regardent. Repartent. Puis, une fois calmés…

 

SARAH. - Tu sais que Marc a vu ce tableau.

YVAN. - Ah bon ? (Yvan s’assoit.)

SARAH. - Atterré.

YVAN. - Ah bon ?

SARAH. - Il m’a dit que c’était une merde. Terme complètement inapproprié.

YVAN. - C’est juste.

SARAH. - On ne peut pas dire que c’est une merde.

YVAN. - Non

SARAH. - On peut dire, je ne vois pas, je ne saisis pas, on ne peut pas dire « c’est une merde ».

YVAN. - Lui c’est un garçon classique, c’est un homme classique, comment veux-tu…

SARAH. - Il n’a pas d’humour. Avec toi, je ris. Avec lui, je suis glacé.

YVAN. - Il est un peu sombre en ce moment, c’est vrai.

SARAH. - Je ne lui reproche pas de ne pas être sensible à cette peinture, ce que je lui reproche c’est son ton, sa suffisance, son absence de tact. Je lui reproche son indélicatesse. Je ne lui reproche pas de ne pas s’intéresser à l’Art contemporain, je m’en fous, je l’aime au-delà…

YVAN. - Lui aussi !...

SARAH. - Non, non, non, non, j’ai senti chez lui l’autre jour une sorte…une sorte de condescendance… de raillerie aigre…

YVAN. - Mais non !

SARAH. - Mais si ! Ne sois pas toujours à essayer d’aplanir les choses. Cesse de vouloir être le grand réconciliateur du genre humain ! (Sarah regarde Yvan.) Admets que Marc se nécrose, car Marc se nécrose !

 

NOIR. (Sarah sort.)

 

 

Chez marc.

Marc et Yvan sont debout. Marc est de  ¾ public. Yvan regarde Marc.

 

YVAN. - On a ri.

MARC. - Tu as ri ?

YVAN. - On a ri. Tous les deux. On a ri. Je te le jure sur la tête de Catherine, on a ri ensemble tous les deux.

MARC. - Tu lui as dit que c’était une merde et vous avez ri.

YVAN. - Non, je ne lui ai pas dit que c’était une merde, on a ri spontanément.

MARC. - Tu es arrivé, tu as vu le tableau et tu as ri. Et elle a ri aussi.

YVAN. - Oui. Si tu veux. Après deux, trois mots c’est comme ça que ça s’est passé.

MARC. - Et elle a ri de bon cœur.

YVAN. - De très bon cœur.

MARC. - Eh bien tu vois, je me suis trompé. Tant mieux. (Marc s’assoit) Tu me rassures, vraiment.

YVAN, s’assoit à côté de Marc. - Et je vais même te dire mieux. C’est Sarah qui a ri la première.

 

Silence.

 

MARC. - Mais elle, pourquoi elle a ri ?

YVAN. - Elle a ri parce qu’elle a senti que j’allais rire. Elle a ri pour me mettre à l’aise, si tu veux.

MARC, se lève. - Ça ne vaut rien si elle a ri la première. Si elle a ri en premier, c’est pour désamorcer ton rire. Ça ne signifie pas qu’elle riait de bon cœur.

YVAN. - Elle riait de bon cœur.

MARC, se rapproche d’Yvan, face à Yvan. - Elle riait de bon cœur, mais pas pour la bonne raison

YVAN. - C’est quoi déjà la bonne raison ? J’ai un trouble.

MARC. - Elle ne riait pas du ridicule de son tableau, vous ne riiez pas elle et toi pour les mêmes raisons, (il se rassoit) toi tu riais du tableau et elle riait pour te plaire, pour se mettre à ton diapason, pour te montrer qu’en plus d’être une esthète qui peut investir sur un tableau ce que tu ne gagnes pas toi en un an, elle reste ta vieille amie iconoclaste avec qui on se marre.

YVAN. - Hun, hun… (Un petit silence. Yvan se lève) Tu sais…

MARC. - Oui…

YVAN. - Tu vas être étonné…

MARC. - Oui…

YVAN. - Je n’ai pas aimé… mais je n’ai pas détesté ce tableau.

MARC. - Bien sûr. On peut pas détester l’invisible, on ne déteste pas le rien. Yvan, exprime-toi en ton nom. Dis-moi les choses comme tu les ressens, toi.

YVAN. - Je ressens une vibration.

MARC. - Tu ressens une vibration ?...

YVAN. - Tu nies que je puisse apprécier en mon nom ce tableau !

MARC. - Evidemment.

YVAN. - Et pourquoi ?

MARC. - Parce que je te connais. Yvan (Marc se lève), regarde-moi dans les yeux.

YVAN.     Je te regarde.

MARC. - Tu es ému par le tableau de Sarah ?

YVAN, en s’éloignant. - Non…

MARC, en s’éloignant à l’opposé. - Réponds-moi. Demain, tu épouses Catherine et tu reçois ce tableau en cadeau de mariage. Tu es content ? Tu es content ?

 

                  Yvan, seul. Marc se fige.

Bien sûr que je ne suis pas content. Je ne suis pas content mais d’une manière générale je ne suis pas un garçon qui peut dire, je suis content. Je cherche… je cherche un évènement dont je pourrais dire, de ça je suis content…Es tu content de te marier ? m’a dit un jour bêtement ma mère, es tu seulement content de te marier ?...Sûrement, sûrement maman…

Comment ça sûrement ? On est content ou on n’est pas content, que signifie sûrement ? (Yvan sort, exaspéré.)

 

                  Marc, seul.

Pourquoi faut- l que je sois tellement catégorique ?! Qu’est ce que ça peut me faire au fond que Sarah se laisse berner par l’Art contemporain ?

Qui es tu mon petit Marc pour t’estimer supérieur ? m’a rétorqué Sarah de la manière la plus infernale et la plus inattendue de sa part… Et toi qui es tu comme amie, quelle sorte d’amie es tu Sarah qui n’estime pas son ami supérieur ? Si je ne supporte pas physiquement que ma meilleure amie achète un tableau blanc, je dois au contraire éviter de l’agresser. Je dois lui parler gentiment.

 

                  Sarah, seule.

Pour moi, il n’est pas blanc.

Quand je dis pour moi, je veux dire objectivement. Objectivement il n’est pas blanc.

Il a un fond blanc, avec toute une peinture dans les gris…

Il y a même du rouge.

Il serait blanc, il ne me plairait pas.

Marc le voit blanc… C’est sa limite…

Marc le voit blanc parce qu’il s’est enferré dans l’idée qu’il était blanc.

Yvan, non. Yvan voit qu’il n’est pas blanc.

Marc peut penser ce qu’il veut, je l’emmerde.

 

NOIR.

 

Chez Sarah.

Marc est chez Sarah, ils attendent Yvan. Yvan sera entre les deux amis durant toute la scène.

 

SARAH. - Yvan a aimé l’Antrios, il a capté tout de suite.

MARC. - Hum, hum…

SARAH. - Tu manques d’humour Marc. On est tombé d’accord là-dessus avec Yvan l’autre jour, tu manques d’humour… Au fait qu’est ce qu’il fait celui là ? Incapable d’être à l’heure, c’est infernal ! On a raté la séance.

MARC. - La dernière fois que vous vous êtes vus, Yvan t’a dit qu’il aimait beaucoup ton tableau et que je manquais d’humour…

 

Yvan arrive enfin.

 

YVAN. - Désolé, j’ai eu un problème avec mes 2 belles mères concernant le mariage. Alors qu’est ce qu’on fait ? Le cinéma c’est foutu j’imagine…désolé..

MARC. - Sarah m’a dit que tu étais très sensible à son tableau.

YVAN. - Oui je suis assez sensible à ce tableau…oui. Pas toi, je sais.

MARC. - Tu trouves que ce tableau n’est pas blanc Yvan ?

YVAN. - Pas tout à fait non…

MARC. - Ah bon. Et tu vois quoi comme couleur ?..

YVAN. - Je vois des couleurs… Je vois du jaune, du gris, des lignes un peu ocre…

MARC. - Et tu es ému par ces couleurs.

YVAN. - Oui… Je suis ému par ces couleurs.

MARC. - Yvan, tu n’as pas de consistance. Tu es un être flasque.

SARAH :  Pourquoi tu es agressif avec Yvan comme ça ?

MARC. - Parce que c’est un petit courtisan servile, bluffé par le fric, bluffé par ce qu’il croit être la culture, culture que je vomis définitivement d’ailleurs.

 

Un petit silence.

 

SARAH. - …qu’est ce qui te prend ?

MARC, à Yvan. - Comment peux-tu Yvan ?... Devant moi. Devant moi Yvan.

YVAN. - Devant toi quoi ?... Devant toi quoi ?... Ces couleurs me touchent. Oui. Ne t’en déplaise. Et cesse de vouloir tout régenter.

MARC. - Comment peux-tu dire, devant moi, que ces couleurs te touchent ?...

YVAN. - Parce que c’est la vérité.

MARC. - La vérité ? Ces couleurs te touchent ?

YVAN. - Oui. Ces couleurs me touchent.

MARC. - Ces couleurs te touchent Yvan ?!

SARAH. - Ces couleurs le touchent ! Il a le droit !

MARC. - Non il n’a pas le droit.

SARAH. - Comment il n’a pas le droit ?

MARC. - Il n’a pas le droit.

YVAN. - Je n’ai pas le droit ?!...

MARC. - Non.

SARAH. - Pourquoi il n’a pas le droit ? Tu sais que tu n’es pas bien en ce moment, tu devrais consulter !!

MARC. - Il n’a pas le droit de dire que ces couleurs le touchent, parce que c’est faux.

YVAN. - Ces couleurs ne me touchent pas ?!

MARC. - Il n’y a pas de couleurs. Tu ne les vois pas. Et elles ne te touchent pas.

YVAN. - Parle pour toi !

MARC. - Je ne peux pas imaginer que tu aimes sincèrement ce tableau.

YVAN. - Mais pourquoi ? Ce tableau dit quelque chose.

MARC. - Et qu’est-ce qu’il dit ce con ?

SARAH. - Qu’est-ce qu’il dit ?

Yvan, fouille dans la poche de sa veste. -  Vous voulez savoir… (Il sort un bout de papier plié.)

MARC. - Tu as pris des notes ?!

YVAN, dépliant le papier. -  J’ai noté parce que c’est compliqué… Je vous lis ?

SARAH. - Lis

YVAN. - « Si je suis moi parce que je suis moi et si tu es toi parce que tu es toi, je suis moi et tu es toi. Si, en revanche, je suis moi parce que tu es toi et si tu es toi parce que je suis moi, alors je ne suis pas moi et tu n’es pas toi… » Vous comprendrez que j’aie dû l’écrire.

Court silence

SARAH. - Ah oui !...Et tu seras gentil de nous recopier cette formule.

MARC. - Oui. Elle nous sera sûrement utile.

YVAN, repliant soigneusement le papier. - Vous avez tort. C’est très profond. (A Sarah.) Tout ça parce qu’il ne veut pas croire que j’apprécie ton Antrios.

SARAH. - Je me fous de ce que vous pensez de ce tableau. Toi comme lui.

Je vous propose qu’on cesse de parler de ce tableau une bonne fois pour toutes OK ? Le sujet est clos. Je le range.

MARC. - Nous ne sommes pas dignes de le regarder.

SARAH. - Exact.

YVAN. - Calmons-nous. Il n’y a aucune raison de s’engueuler…  Mais qu’est ce qui s’est passé entre vous ? Qu’est ce que vous avez ?

SARAH. - J’ai acheté une œuvre qui ne convient pas à Marc.

MARC. - De mon temps tu n’aurais jamais acheté cette toile. Du temps où tu me distinguais des autres, où tu étais fière de m’avoir pour ami. Mais à la longue il faut croire que cette sorte d’affection se tarit. Tu prends ton autonomie, tu m’abandonnes.

YVAN. - Mais réconciliez-vous ! Passons une bonne soirée, tout ça est risible !

MARC. - Regarde ce malheureux Yvan qui nous enchantait par son comportement débridé et qu’on a laissé devenir peureux. Un garçon qui nous apportait sa singularité…

SARAH. - Qui nous apportait ? Toujours en fonction de toi ! Apprends à aimer les gens pour eux-mêmes Marc…

MARC. - Qu’est-ce qu’ils sont… en dehors de l’espoir que je place en eux... ?

 

Silence.

 

SARAH. - Donc nous voici au terme d’une relation de 15 ans.

MARC. - Oui.

YVAN. - Minable… En arrivée à de telles extrémités …

 

Silence (tous réfléchissent).

 

SARAH, tendant sa main vers Yvan sans un regard. -  Tu as des feutres ?

 

Sarah donne un feutre à Marc et Yvan. Ils la regardent…et tendent leurs bras pour dessiner.

 

 NOIR.

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